L'Événement
Leclerc, Bompard et Cotillard à la manœuvre pour créer un nouveau lobby de la grande distribution
A l'offensive contre la loi Descrozaille, les patrons de Carrefour, Intermarché et E.Leclerc s'activent discrètement pour remplacer la Fédération du commerce et de la distribution. Le trio entend créer un lobby plus fédérateur et concentré sur l'alimentaire. Mais il devra obtenir le ralliement des autres concurrents pour peser face aux industriels.
C'est dans le plus grand secret, pour le moment, qu'Alexandre Bompard, Thierry Cotillard et Michel-Edouard Leclerc planchent sur la création d'un lobby commun à l'ensemble de la distribution alimentaire. Le PDG de Carrefour, le président du Groupement des Mousquetaires et le porte-voix de E.Leclerc se sont vus en avril pour esquisser les contours d'une nouvelle fédération.
D'ici à fin septembre, leurs trois secrétaires généraux - Laurent Vallée (Carrefour), Gery Porcheron (Intermarché) et Philippe Seligmann (E.Leclerc) - prendront la relève tout aussi discrètement pour réfléchir au fonctionnement, à la gouvernance et même au nom de ce qui pourrait, dès l'an prochain, remplacer l'actuelle Fédération du commerce et de la distribution (FCD).
La claque de la loi Descrozaille
Les griefs contre cette vieille FCD ne datent pas d'hier. Intermarché et E.Leclerc n'en font pas partie. L'organisation est, du coup, très influencée par les intérêts de son principal contributeur, Carrefour. Son PDG Alexandre Bompard en a d'ailleurs été nommé président la semaine dernière. Le discounter allemand Lidl, qui se sentait sous-représenté du fait du poids de Carrefour, a claqué la porte en janvier, fragilisant encore un peu plus la fédération.
Mais le vrai détonateur de cette décision de refonte a été la bataille de lobbying perdue face à leurs fournisseurs lors du vote de la loi portée par le député Frédéric Descrozaille. Adopté le 30 mars, le texte est largement favorable à l'Institut de liaison des entreprises de consommation (ILEC), le lobby des multinationales de l'agroalimentaire. Son entrée en vigueur en mars 2024 abaissera notamment la limite des taux de promotion à 34 %, contre 50 % aujourd'hui, sur les gros produits d'appel d'hygiène beauté comme les couches, le shampoing ou la lessive.
Or, si les distributeurs sont montés au front dans les médias, leur riposte s'est faite en ordre dispersé. Ils ont été incapables de mener un lobbying commun auprès des parlementaires, alors qu'ils avaient Bercy de leur côté, Bruno Le Maire étant favorable au maintien des super promos à 50 %. Si bien que les industriels vont pouvoir se partager un surcroît de marge de plusieurs centaines de millions d'euros chaque année.
Un vrai fiasco que les distributeurs n'ont pas digéré. Lors d'un petit déjeuner en mars, Alexandre Bompard et Thierry Cotillard ont donc décidé d'amplifier leur force de frappe face à la trop puissante ILEC dirigée par Richard Panquiault. Mais ils savent que rien ne peut se faire tant que le premier distributeur de France, E.Leclerc, laboure son champ seul dans son coin. D'où l'idée de le mettre tout de suite dans la boucle.
Des concurrents néanmoins amis
Ces trois-là ont beau guerroyer férocement toute l'année pour se piquer quelques dixièmes de points de part de marché, ils s'entendent comme larrons en foire dès qu'ils se croisent. Les patrons de Carrefour et du groupement des Mousquetaires se connaissent et s'apprécient depuis près de dix ans. Leur bonne entente a débuté lorsque Thierry Cotillard, alors président de l'enseigne Intermarché, a permis à ses adhérents de devenir des franchisés de la FNAC, qu'Alexandre Bompard dirigeait. Ils se voient régulièrement en tête-à-tête et ont noué des liens avec le jovial vétéran de la distribution, Michel-Edouard Leclerc, pendant la gestion de crise du Covid-19.
Lors de la convocation de tous les patrons de la distribution à Bercy mercredi 30 août, Michel-Edouard Leclerc a d'ailleurs claqué la bise à Alexandre Bompard et Thierry Cotillard. Mais s'est contenté de serrer les mains de tous les autres. Une distinction remarquée par les petits nouveaux Michel Biero, représentant de Lidl, et Vincent Doumerc, directeur général de Franprix, invités tous deux pour la première fois à cette réunion politique. Michel-Edouard Leclerc, avec sa faconde habituelle, a même demandé devant tout le monde qui il était au directeur général de Franprix, désigné la veille par le groupe Casino pour remplacer l'éternel absent Jean-Charles Naouri. Ce qui a provoqué le rire gêné de la ministre du commerce, Olivia Grégoire, autour de la table, où ils se serraient à 15 pour 8 places.
Un fonctionnement paritaire
C'est donc parce qu'ils pèsent, à eux trois, 60 % de la distribution alimentaire française qu'ils ont choisi d'avancer ensemble en éclaireurs avant d'aller convaincre les autres de les rejoindre dans la création du nouveau lobby. Selon nos sources, la nouvelle fédération devrait regrouper toutes les enseignes alimentaires, celles des groupes intégrés comme Casino, Carrefour et Auchan, comme celles des chaînes dites "indépendantes" parce que contrôlées par leurs adhérents comme Système U, Intermarché et E.Leclerc. Les enseignes non alimentaires telles que Decathlon, Darty et Boulanger, qui font actuellement partie de la FCD, ne seraient donc plus les bienvenues.
La gouvernance pourrait être assurée par une présidence tournante de deux ans entre groupes intégrés et indépendants, mais via des patrons emblématiques, avec un secrétaire général qui assurerait le fonctionnement quotidien.
Le test de la présidence Bompard
L'actuel délégué général de la FCD, Jacques Creyssel, a justement fait valoir son envie de céder les rênes, comme l'a révélé La Lettre A avant l'été (LLA du 17/05/23). Avec l'arrivée d'Alexandre Bompard à la présidence, les mois qui viennent vont servir de coup d'essai. Le patron de Carrefour n'a pas traîné. Dès le lendemain de sa nomination mercredi 30 août, il a été à l'initiative du communiqué demandant le report d'un an de la loi Descrozaille. Le patron de Carrefour, qui embrassait Bruno Le Maire comme du bon pain et avait pris la parole en premier le même jour, obtiendra-t-il gain de cause pour toute sa profession ? Ce serait un premier beau succès, comme l'est déjà l'obtention d'une avancée des négociations avec les industriels de mars 2024 à décembre 2023.
Reste à savoir si les patrons des enseignes concurrentes rangeront leur ego dans leur poche et accepteront de rejoindre ces trois éclaireurs. Dominique Schelcher, président de Système U, qui a été particulièrement actif sur le sujet de l'inflation avant l'été, sera très certainement le premier approché, si le trio vient à bout de sa phase de création dans les mois qui viennent.
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