Leur nomination a été actée dès le 30 juin mais, comme souvent chez Jeune Afrique, les salariés n'en n'ont toujours pas été informés. Quatre nouveaux membres ont intégré le conseil d'administration de Jeune Afrique Media Group (JAMG), la maison mère du groupe de presse dirigé par les frères Amir Ben Yahmed et Marwane Ben Yahmed. Selon nos informations, deux d'entre eux, les hommes d'affaires ivoiriens Ahmed Cissé et Serge Thiémélé, représenteront de nouveaux actionnaires dissimulés derrière Bayani Capital, une structure offshore domiciliée à l'île Maurice. Comme l'avait révélé La Lettre A, JAMG cherche depuis le printemps 2021 à lever 10 millions d'euros, en échange de 20 % de son capital (LLA du 14/06/22).
Ces deux administrateurs sont des figures de l'élite politico-économique en Afrique de l'Ouest. PDG du conglomérat ivoirien Brandon & McCain (présent dans l'immobilier, les mines, l'agriculture ou encore les télécoms), Ahmed Cissé a pris le 30 novembre la tête de la puissante Confédération générale des entreprises de Côte d'Ivoire (CGECI, le patronat ivoirien). Ce tycoon dispose d'entrées privilégiées au sommet de l'Etat. Très proche du ministre de la défense Téné Birahima Ouattara, frère cadet du président Alassane Ouattara, Ahmed Cissé est du reste lui-même membre de la famille présidentielle : il est issu de la famille de Nabintou Cissé, la mère d'Alassane Ouattara.
Serge Thiémélé est lui aussi bien introduit dans plusieurs palais présidentiels. Cet ancien associé de la branche Afrique de l'Ouest du cabinet de conseil EY dirige sa petite banque privée First Capital, à Abidjan, après un bref passage dans la banque d'affaires Southbridge, fondée par Lionel Zinsou, l'ex-premier ministre béninois et actuel senior advisor du fonds Eurazeo.
Proximité avec Alassane Ouattara
Si l'identité des nouveaux actionnaires du groupe Jeune Afrique est pour l'heure maintenue secrète, le profil de leurs deux représentants au conseil d'administration laisse supposer d'étroites connexions avec la présidence et les milieux d'affaires ivoiriens. Les frères Ben Yahmed sont eux-mêmes bien introduits auprès d'Alassane Ouattara, proche de longue date de leur père Béchir Ben Yahmed, le fondateur de Jeune Afrique décédé en mai 2021. Amir Ben Yahmed a même obtenu la nationalité ivoirienne en décembre 2021. Interrogé sur l'identité de ces nouveaux entrants au capital de JAMG, le groupe n'a pas donné suite.
Dans un document présenté en avril 2021 à de potentiels investisseurs au début de la levée de fonds, et dévoilé par La Lettre A en juin 2022, Jeune Afrique écrivait noir sur blanc chercher un actionnariat africain, institutionnel et public, "qui concilie la mission des marques du groupe et celles des Etats, au service du développement du continent". Face à cet évident conflit d'intérêts pour un magazine traitant des dirigeants africains, le groupe s'était empressé de démentir l'ouverture de son capital à des Etats, dans la presse et en interne.
Politique d'acquisitions
Cet apport d'argent frais servira à éponger les pertes importantes enregistrées par le groupe Jeune Afrique pendant la crise sanitaire (11,5 millions d'euros en 2020). Mais il doit aussi lui donner les moyens de mener des acquisitions, par exemple de médias professionnels tournés vers le continent africain. Lui aussi nommé en juin au conseil d'administration, Julien Alvarez pourra ainsi aiguiller les frères Ben Yahmed dans cette politique de croissance externe. Ce banquier d'affaires reconverti dans l'édition fréquente la famille Ben Yahmed depuis une dizaine d'années.
Jeune Afrique n'a toutefois pas encore réuni les 10 millions d'euros que le groupe espère lever. Aucune information ne filtre en interne sur l'avancement de cette augmentation de capital. Au moins 2 millions d'euros ont en tout cas été injectés, en janvier 2022, par la holding mauricienne Bayani Capital.
Jeune Afrique est déjà contrôlé par deux sociétés enregistrées au Luxembourg, Reach Media et Kama Capital. Officiellement, le capital du groupe est détenu très majoritairement par la famille Ben Yahmed depuis sa création. L'identité des actionnaires minoritaires demeure, elle, inconnue.