Enquête
BFM, L'Opinion et Le Figaro jouent les discrets relais des médias d'Etat chinois
Plusieurs organes de presse étatiques chinois s'achètent une présence permanente dans les médias français au travers de contenus sponsorisés. Ces partenariats avec BFM Business, Le Figaro, L'Opinion ou encore Jeune Afrique, parfois peu identifiables, s'avèrent être un utile support d'influence pour Pékin alors que le régime durcit son discours sur la scène internationale.
Début mars, près d'un an après le début de la pandémie de Covid-19 à propos de laquelle la Chine a été critiquée sur son manque de transparence, Pékin s'est offert une vaste campagne de communication dans les journaux de 40 pays. A l'occasion des deux assemblées annuelles du Parti communiste chinois (PCC), près de 200 médias ont ainsi publié pendant une semaine des articles publicitaires rédigés par le Quotidien du peuple, journal officiel du PCC.
En France, c'est L'Opinion qui a été choisi par l'organe de presse pour vanter, à travers une pleine page publiée le 11 mars, la croissance des investissements étrangers en Chine et la capacité du régime à "réduire la pauvreté par la préservation écologique". Le 1er juillet, date du centième anniversaire du PCC, le quotidien libéral a de nouveau accueilli deux articles sponsorisés par le Quotidien du peuple.
L'Opinion - qui affirme se réserver le droit de refuser ces communiqués, comme le journal l'a une fois fait cette année - est loin d'être le seul média français à servir de relais d'influence au pouvoir chinois en vendant ses espaces publicitaires à des groupes d'information étatiques. Certes, plusieurs quotidiens, comme Le Monde, Le Parisien et Les Echos, ont cessé cette pratique, notamment après avoir été épinglés pour avoir publié des publirédactionnels de l'agence d'information officielle Xinhua en mars 2019, à l'occasion d'une visite du président chinois Xi Jinping en France. Mais si la régie publicitaire du Monde ne reçoit plus de telles offres, Le Parisien souligne que la demande est encore forte de la part ces annonceurs très politiques, prêts à payer le prix fort.
Jeune Afrique, promoteur des bienfaits de la Chine-Afrique
Cette manne financière continue toutefois de susciter l'intérêt du Figaro et de Jeune Afrique. Le premier publie régulièrement (voir ici) dans la rubrique International de son site des articles et vidéos sponsorisés par Xinhua. Bien qu'une discrète mention de ce partenariat soit faite, ces contenus mettant en valeur le dynamisme commercial et la richesse patrimoniale de la Chine prennent la même forme que les articles rédigés par la rédaction du Figaro et apparaissent dans les résultats de recherche de Google. La direction du Figaro, qui assure que les montants en jeu sont très limités, a toutefois dernièrement arrêté d'insérer dans ses pages le supplément "China Watch", édité par le quotidien d'Etat China Daily.
Cible de choix pour une puissance déployant de solides intérêts sur le continent africain, le magazine Jeune Afrique, basé à Paris, a pour sa part conclu un partenariat publicitaire avec le Quotidien du peuple. Encadrés par une large photo de la Cité interdite de Pékin barrée de la devise "Unis nous vaincrons", plusieurs articles du journal communiste promeuvent sur le site de l'hebdomadaire les relations économiques vertueuses entre la Chine et l'Afrique. Jeune Afrique (qui n'a pas répondu aux sollicitations de La Lettre A) ne réserve toutefois pas ses espaces publicitaires uniquement à l'Etat chinois : un article sponsorisé à la gloire du président togolais est actuellement en ligne sur son site.
Le documentaire comme outil diplomatique
Des collaborations existent aussi dans l'audiovisuel. Le tournage du documentaire "Versailles et la Chine", co-produit par la déclinaison française de la télévision d'Etat CGTN, avec TV5Monde, le groupe Mediawan fondé par le trio Capton-Niel-Pigasse, et la société Troisième Œil (depuis absorbée par Mediawan), a ainsi été lancé fin 2019. Une cérémonie avait été organisée pour l'occasion, en présence de Laurent Fabius, Dominique de Villepin et le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi. Toujours en développement, le documentaire n'a pas encore été diffusé. Il devrait toucher une large audience potentielle : grâce notamment aux téléspectateurs d'Afrique francophone, la page Facebook française de CGTN compte autant d'abonnés (20 millions) que TF1, France 2, France 24 et BFM TV réunis.
Portant généralement sur la vitalité économique et culturelle de la Chine, les publi-communiqués par lesquels le pays s'offre une présence dans des titres de presse français prestigieux participent d'une stratégie courante de soft power. Mais ils s'inscrivent désormais dans une posture de plus en plus offensive adoptée par le régime depuis quelques années, et en particulier depuis le début de la pandémie. Les contenus produits par Xinhua, le Quotidien du peuple ou CGTN sont ainsi presque quotidiennement relayés par le compte Twitter de l'ambassade de Chine en France, qui a nettement durci sa communication depuis le début de la crise sanitaire (LLA du 09/04/20).
Sur le même réseau social, Qian He, directrice en France du Quotidien du peuple depuis 2017 et par ailleurs docteure en science politique au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po, se montre elle aussi très critique de la couverture de la crise du Covid-19 par les journalistes occidentaux, et notamment français.
Partenariats avec Challenges et BFM Business
Les effectifs des organes de presse chinois en France sont assez limités. L'agence Xinhua a ouvert en 2015 un bureau à Clichy, tandis que l'antenne française du Quotidien du peuple est domiciliée rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, à deux pas de l'Elysée. La même rue a été choisie par Xinhua pour ouvrir une galerie photo de 400 m², comme l'avait révélé Le Monde en 2013.
Le turn-over dans ces rédactions est toutefois important. Certains de leurs journalistes sont parfois amenés à exercer ensuite leur travail d'influence en dehors des médias, à l'image de la journaliste Qian Han. Après dix ans passés chez Xinhua, dont plus de quatre à Paris, cette dernière est devenue lobbyiste pour Huawei en France. Elle a, à ce poste, rapidement renoué des liens avec la presse française, en organisant une série de trois tables rondes entre juillet 2020 et janvier 2021 dans le cadre d'un partenariat entre le magazine Challenges et Huawei France. Gilles Fontaine, rédacteur en chef de Challenges, y a notamment reçu Minggang Zhang, directeur général adjoint de Huawei France, et le polytechnicien Jacques Biot, qui en est aujourd'hui le président du conseil d'administration.
Challenges fait partie, avec BFM Business et Mandarin TV, chaîne destinée aux Chinois de France, des trois seuls médias adhérents du Chinese Business Club. La présence de BFM Business dans ce cercle d'affaires franco-chinois s'explique notamment par le contrat que la chaîne d'information économique du groupe Altice a noué fin 2018 avec Radio Chine Internationale (RCI), radio rattachée au département de la propagande du comité central du PCC.
Le présentateur de BFM Business y reçoit chaque soir un entrepreneur ou un consultant venu expliquer aux auditeurs et téléspectateurs de la chaîne le développement de son activité en Chine. L'interview est précédée d'un sujet présenté depuis Pékin par une journaliste de RCI, pendant lequel la mention du partenariat est affichée. Celle-ci disparaît toutefois pour la suite de l'émission, pourtant financée grâce à ce partenariat. Pour sa défense, la direction de BFM Business assure que l'invité est choisi par le présentateur, et non par RCI.
Une discrète agence française de RP
Pour conclure cet accord avec BFM Business, qui s'accompagne d'articles sponsorisés publiés plusieurs fois par semaine sur le site de la chaîne, la radio chinoise a fait appel à Karine Lions, de l'agence de communication WL International Consulting. Cette ex-dircom' de la ville de Saint-Tropez a cofondé en 2016 cette société avec un producteur de films chinois afin de mettre en relation des chefs d'entreprises français et chinois. Présidente et associée de WL International Consulting, sa fille Alexandra Sprung, par ailleurs cofondatrice de l'agence de conseil de marques de luxe Simone, y joue un rôle de conseil.
La collaboration entre BFM Business et RCI a d'ailleurs séduit la chaîne B Smart, lancée en juin 2020 par des transfuges de la direction de BFM Business, Stéphane Soumier et Pierre Fraidenraich, et détenue à 51 % par l'homme d'affaires tchèque Daniel Kretinsky. Elle n'a toutefois pu se rapprocher de RCI, le contrat entre la radio chinoise et avec BFM Business étant exclusif.
Le modèle est du reste déclinable avec d'autres puissances étatiques. L'agence WL International Consulting, qui collabore également avec l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan, travaille actuellement au développement d'"Inde Eco", une émission sur BFM Business.
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