Le groupe Casino s'est désisté il y a deux semaines de son assignation contre La Lettre, qui devait donner lieu à une audience devant le tribunal correctionnel de Paris ce jeudi 7 novembre. Dans une citation à comparaître datée du 15 juin, alors divulguée par Le Monde, l'ex-actionnaire majoritaire et PDG Jean-Charles Naouri réclamait 13,7 millions d'euros à Indigo Publications, qui édite le quotidien. La somme représentait 1,7 fois le chiffre d'affaires annuel de la société, un montant record dans une procédure en droit de la presse.

L'avocat du distributeur, Olivier Baratelli, avait pris soin de cibler notre rédactrice en chef adjointe et auteure des articles sur Casino, Sophie Lecluse, lui imputant solidairement cette demande financière exorbitante (en plus du directeur de la publication Quentin Botbol, comme c'est plus classiquement le cas).

Une assignation sous pression

Peine perdue : une quinzaine d'articles sur le groupe ont été publiés depuis cette citation à comparaître. La Lettre a poursuivi sa couverture de la descente aux enfers financière de Casino sous la présidence de Jean-Charles Naouri (LL du 29/06/23), des coulisses de son rachat par Daniel Kretinsky (LL du 08/09/23) avant de dévoiler la mécanique de son démembrement par Intermarché et Auchan (LL du 30/11/23). À noter : la nouvelle équipe dirigeante menée par Philippe Palazzi a pris le temps de la réflexion pour se désister de son action judiciaire, son retrait intervenant sept mois après la prise de contrôle de Casino par le milliardaire tchèque.

Le dépôt de la plainte contre La Lettre était intervenu dans un contexte de tension extrême pour le PDG de Casino. Sous pression de ses prêteurs et des fonds spécialisés dans la vente à découvert qui misaient sur la baisse de son cours de Bourse, Jean-Charles Naouri était au pied du mur à la fin du premier semestre 2023. Engagé dans une insoluble conciliation avec ses créanciers pour réduire sa dette, l'homme d'affaires avait aussi été placé en garde à vue trois semaines plus tôt dans le cadre d'une enquête ouverte depuis quatre ans sur des faits présumés de "manipulation de cours en bande organisée, corruption privée active et passive" et "délit d'initié commis courant 2018 et 2019".

Une baisse de 2,2 % du cours de Bourse

Dans ce climat tendu, le propriétaire des enseignes Monoprix, Franprix ou encore CDiscount, accusait La Lettre de "diffamation" et "dénigrements" à propos de neuf articles parus entre le 27 avril et le 14 juin 2023. Pour tenter de démontrer que ces derniers avaient "conduit à une baisse de la valeur de l'action" et relevaient d'une volonté de "déstabilisation", l'assignation s'appuyait sur une variation du cours de Bourse de 2,26 % intervenue lors de la séance du 8 juin, alors même que le titre avait perdu 48 % de sa valeur en un an.

Dans La Lettre du 8 juin 2023, un premier papier publié à 6 h 20 relatait les doutes des administrateurs indépendants sur leur maintien au sein du conseil, puis un second, plus remarqué, dévoilait l'échec des discussions sur l'opération de rachat de Casino par InVivo et le trio Xavier Niel - Matthieu Pigasse - Moez-Alexandre Zouari. Qualifiée de "diffamatoire" par l'assignation, cette information publiée à 11 h 40 avait pourtant été confirmée le même jour par un communiqué du groupe Casino après la fermeture de la cotation à Paris. Passant par pertes et profits l'exactitude des faits, c'est donc le timing de leur divulgation que Jean-Charles Naouri contestait par la voix de son avocat Olivier Baratelli. Et ainsi la possibilité pour un média de révéler une information sur un groupe coté avant sa communication officielle, pendant les horaires d'ouverture de la Bourse.

Octave Bonnaud
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