Marc de Cacqueray-Valménier peut souffler un peu. Certes, le leader de la section parisienne du groupuscule néofasciste et antisémite Groupe union défense (GUD) attend encore deux procès : l'un pour avoir passé à tabac des militants de SOS Racisme lors du meeting d'Éric Zemmour à Villepinte en décembre 2021, l'autre en appel, soupçonné d'avoir convoqué une descente contre des supporters marocains le soir de la demi-finale de la Coupe du monde de football en décembre 2022, stoppée à temps par la police. Mais cet ultranationaliste peut se réjouir d'avoir retrouvé une stabilité financière, au moment où il commençait à perdre espoir de dénicher un employeur prêt à fermer les yeux sur les résultats renvoyés par une simple recherche Google sur son nom. Marc de Cacqueray-Valménier a un nouveau patron : Vincent Bolloré.

Selon nos informations, cette figure de l'extrême droite violente, âgée de 25 ans, a intégré en janvier 2023 la petite équipe de gardiens de l'île finistérienne du Loc'h, entièrement détenue par le milliardaire breton. Propriété de la famille Bolloré depuis 1924, l'île, la plus vaste de l'archipel des Glénan, au large de Concarneau, avait été rachetée par Vincent Bolloré à ses cousins en 2010. D'une surface de 58 hectares, elle n'abrite qu'un seul bâtiment, une ancienne ferme où l'homme d'affaires aime se retirer. Le site est bien gardé : quatre agents de sécurité veillent toute l'année sur l'île, travaillant en binôme par cycles de quinze jours suivis de deux semaines de repos. Outre des rondes sur un parcours d'un peu moins de trois kilomètres, ces gardes marins effectuent aussi des tâches d'entretien et d'approvisionnement. Sans oublier de chasser les ragondins qui apprécient l'étang situé au milieu de l'île.

Faire fuir les curieux

Dès 2012, Vincent Bolloré a fait construire une clôture sur le pourtour de son île, classée en zone Natura 2000, mais les plaisanciers sont autorisés à venir se prélasser sur la grande plage. Charge aux gardiens d'empêcher des visiteurs curieux ou mal intentionnés de s'introduire sur le domaine privé du magnat des médias. La carrure bodybuildée et les tatouages nazis de Marc de Cacqueray-Valménier sont, à cet égard, particulièrement dissuasifs. Sur sa jambe gauche, il arbore une Totenkopf, une tête de mort utilisée comme emblème par certaines divisions SS. Sur son coude gauche, un soleil noir, symbole mystique du IIIe Reich. Les lettres inscrites sur ses deux cuisses forment le slogan suprémaciste blanc "White pride". Sollicité par l'intermédiaire de son avocat, Me Clément Diakonoff, Marc de Cacqueray-Valménier n'a pas répondu à La Lettre.

Axel Loustau, Vincent Bolloré, Marc de Caqueray-Valménier.
Marc de Cacqueray-Valménier dit "Marc Hassin". © Instagram
D'un tempérament impulsif mais toujours poli, ce bagarreur sous contrôle judiciaire savoure le calme qui règne le plus souvent sur l'île déserte. "Marc Hassin" – son pseudo – semble en effet épanoui sur la photo de profil de son compte Instagram. Il s'y affiche en mer, sur une embarcation voguant au milieu des Glénan, avec en arrière-plan l'île Saint-Nicolas, plus touristique.

Dans les prochaines semaines, il encadrera quelques-unes des messes ouvertes au public, organisées à la demande de Vincent Bolloré depuis cinq ans sur l'île du Loc'h, chaque dimanche entre mi-juillet et mi-août. Comme les années précédentes, le milliardaire catholique pourrait participer à l'une d'entre elles.

Le clan Loustau au service de Bolloré

Comment cette icône de la nébuleuse nationaliste-révolutionnaire a-t-elle pu se retrouver sous les ordres de Vincent Bolloré ? Au-delà de l'extrême droitisation progressive de ses médias (CNews, JDD, Europe 1…), l'industriel n'avait jusqu'ici pas de liens connus – contractuels ou personnels – avec des milieux aussi radicaux. D'après nos informations, il fait pourtant confiance, depuis 2013 au moins, à une société liée à la "GUD connection" pour protéger son île du Loc'h : Checkport. Derrière ce discret groupe de sécurité privée, on retrouve la famille Loustau, un nom bien connu du Front national (FN) puis du Rassemblement national (RN). L'entreprise est contrôlée et dirigée par Philippe Loustau, candidat FN aux cantonales de 2004 dans les Bouches-du-Rhône et surtout frère d'Axel Loustau. Cet ex-pilier du GUD est un proche de Marine Le Pen, longtemps trésorier de son microparti Jeanne, et prestataire historique pour la communication du parti à la flamme, avec son acolyte Frédéric Chatillon.

Spécialisé dans la sécurité des entreprises et la sûreté aéroportuaire, le groupe Checkport est issu de la société de gardiennage Normandy, fondée en 1977 par le père de Philippe et d'Axel Loustau, Fernand Loustau. Après le décès en 1993 de cet ancien de l'OAS et vieil ami de Jean-Marie Le Pen, c'est l'aîné de la fratrie, Philippe, qui avait repris le flambeau et conservé le nom Normandy jusqu'en 2016. Axel Loustau n'a plus de parts dans l'entreprise depuis 2008, mais il officie lui aussi dans la sécurité privée. Comme l'a remarqué le média StreetPress, le clan Loustau est passé maître dans l'art de brouiller les pistes pour ne pas directement apparaître au capital de leurs entreprises. La compagne de Philippe Loustau, Catherine Soldatenkoff, a ainsi fait partie pendant plusieurs années des actionnaires d'Astoria Sécurité, l'entreprise d'Axel Loustau.

L'ange gardien Loustau

Marc de Cacqueray-Valménier, qui a réactivé le GUD à l'automne 2022 après la dissolution de son groupuscule Zouaves Paris – le GUD a lui-même été dissous le 26 juin dernier –, sait qu'il peut compter sur le soutien d'Axel Loustau. Comme en décembre 2022, quand le militant fiché S, déjà condamné à plusieurs reprises à des peines avec sursis, cherche à éviter la détention provisoire en attendant son procès dans l'affaire de la descente musclée le soir de France-Maroc. À l'époque, Marc de Cacqueray-Valménier transmet à la justice une promesse d'embauche opportune faite quelques jours plus tôt par la holding Financière Wagram, qui gère les affaires d'Axel Loustau, comme l'ont dévoilé Libération et Blast. Signée par son ami gudard Gabriel Loustau, fils d'Axel et directeur général de la société depuis 2019, la lettre offre au repris de justice un poste de DRH de Financière Wagram en CDI, avec un salaire très confortable de 5 200 € brut par mois, à partir de janvier 2023. Soit la période à laquelle Marc de Cacqueray a débarqué sur l'île de Vincent Bolloré, d'après nos informations. Axel Loustau a-t-il recommandé à son frère Philippe d'embaucher son protégé ? Les deux frères, contactés directement et via leurs avocats, n'ont pas répondu à nos questions.

Un néonazi en terres résistantes

Le profil de cette recrue détonne en tout cas avec l'histoire familiale de son donneur d'ordre, Vincent Bolloré. Le premier actionnaire de Vivendi, qui n'a pas donné suite à nos sollicitations, ne rate jamais une occasion d'évoquer l'engagement de plusieurs membres de sa famille contre l'Occupation. "Mon père était résistant, ainsi que certains de mes oncles, tandis que d'autres étaient à Londres ou dans l'escadrille Normandie-Niemen", a rappelé le milliardaire, le 13 mars, devant les députés de la commission d'enquête sur la TNT. Parmi ces oncles : Gwenn-Aël Bolloré, propriétaire de l'île du Loc'h jusqu'à son décès en 2001.

Adorateur du collaborateur Robert Brasillach – à qui il a rendu hommage devant sa tombe à Paris en février –, Marc de Cacqueray-Valménier a d'autres références. Son père est un ancien de l'Action française, dont le jeune militant a un temps dirigé la section lycéenne à Paris. "Marc Hassin" a lui-même été attiré par le conflit armé. À l'automne 2020, il publie sur Instagram une photo de lui, kalachnikov à la main et patch SS sur le torse. Il se rend alors au Haut-Karabakh pour s'engager aux côtés des Arméniens contre l'Azerbaïdjan. Le nationaliste rentrera en assurant ne pas avoir combattu, un cessez-le-feu ayant été signé quinze jours après son arrivée. Quoi qu'il en soit, cet accro aux sports de combat continue de s'entraîner à recevoir des coups et surtout à en donner. On pouvait ainsi l'apercevoir, gants de boxe aux poignets, sur les photos d'un entraînement publiées par le GUD Paris sur sa chaîne Telegram, le 14 avril dernier. Gare aux visiteurs de l'île du Loc'h.

Alexandre Berteau
© Copyright La Lettre. Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web) sans autorisation écrite -