Les problèmes de craquelures sur les médailles olympiques de la Monnaie de Paris, révélés par La Lettre avant même les JO de Paris (LL du 29/01/24), suscitent une certaine fébrilité au sommet de l'organigramme. Selon nos informations, le PDG de la prestigieuse institution, Marc Schwartz, vient de sacrifier dans l'urgence les trois principales têtes de sa production.
Son directeur industriel Jacky Frehel a ainsi fait savoir fin novembre qu'il partirait à la fin du mois de janvier. Éric Matte, le directeur de production du site parisien chargé de la fabrication des médailles olympiques, n'est plus apparu dans l'établissement depuis le 2 octobre, alors qu'il était censé participer à des réunions le lendemain. La responsable de la qualité, hygiène sécurité et environnement, Hélène Juton, a, pour sa part, déserté son bureau le même mois, avant d'annoncer son départ le 13 décembre.
Qualité des vernis
Ces départs contraints, qui pourraient prendre la forme de ruptures conventionnelles, trouvent leur origine dans les problèmes de qualité sur les vernis des médailles remises cet été aux athlètes olympiques et paralympiques. D'après les informations de La Lettre, plus de 100 médailles défectueuses ont déjà été retournées par des sportifs mécontents au Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) de Paris 2024, en seulement quatre mois. Dès le 2 août, le skateur américain Nyjah Huston avait affiché sa récompense en bronze sur les réseaux sociaux, la montrant en piteux état, dix jours seulement après sa remise sur le podium. Ce cas, très médiatisé, est loin d'être isolé. Le nageur Maxime Grousset a fait un constat identique le 9 août, cinq jours après avoir été médaillé.
Autour du 15 août, le PDG de la Monnaie Marc Schwartz avait dû rappeler en urgence ses cadres Jacky Frehel, Éric Matte et Hélène Juton, contraints d'interrompre leurs congés pour une réunion de crise quai de Conti, au siège parisien de l'établissement. Depuis, les réclamations des athlètes au sujet de leurs médailles se sont multipliées et sont devenues virales. Il y a deux semaines, les vainqueurs du 4x100 m 4 nages Yohann Ndoye Brouard et Clément Secchi ont publié à leur tour sur X et Instagram des photos de leurs médailles de bronze très dégradées. Qualifiée de "peau de crocodile" par le second, elles laissent apparaître des craquelures en forme d'écailles sur la breloque olympique.
Le précédent Huawei
Dans les faits, la Monnaie de Paris se débat avec ses vernis défectueux depuis au moins quinze mois, bien avant le début des JO. Comme l'a révélé La Lettre à l'époque, les ennuis du prestigieux établissement public ont démarré avec son plus gros client étranger, le géant des télécoms Huawei. Le groupe chinois commande régulièrement des médailles du travail, qu'il distribue à ses employés les plus méritants. En octobre 2023, l'industriel a fait part de la déception de ses salariés ayant constaté l'apparition de craquelures et a retourné un lot de plus de 12 000 médailles défectueuses. L'épisode a été mal vécu dans les ateliers, où l'on s'attriste de voir une institution millénaire incarnant la qualité du Made in France à l'international prise en défaut par son puissant client asiatique. Une partie des salariés y voient les conséquences du plan stratégique lancé en 2019 par Marc Schwartz, plaçant la structure artisanale des médailles sous une grande direction industrielle, aux côtés de l'usine de Pessac (Gironde), spécialisée dans les gros volumes de pièces de monnaie.
La cause de ces vernis écaillés est visiblement liée à l'insuffisante anticipation d'un changement réglementaire par la direction de l'établissement public. La dernière mise à jour de la directive européenne Reach prévoit l'interdiction d'un composant toxique du vernis maison, le trioxyde de chrome, qu'il a fallu remplacer au pied levé. Faute de temps et de recul pour faire des essais, ce sont les médailles de Huawei, puis celles des Jeux olympiques, qui ont fait les frais des nouveaux produits utilisés. À Paris, l'atelier médailles du quai de Conti se fait désormais accompagner par une entreprise lyonnaise spécialisée dans les processus industriels et les traitements de surface, afin de trouver une solution durable.
Facture salée
En attendant que la Monnaie de Paris soit en capacité de relancer une production fiable, les médailles défectueuses renvoyées par les athlètes sont collectées par le Cojop Paris 2024. Sollicité par mail, le Comité international olympique (CIO) nous a assuré qu'elles seraient toutes remplacées "dans les semaines à venir", sans s'engager sur un calendrier précis.
Contactée, la direction de la Monnaie de Paris a fait savoir par la voix de son avocat qu'elle ne s'exprimerait pas sur les défauts de qualité de ses médailles, se retranchant derrière "le secret des affaires et de la confidentialité due" à ses clients, refusant de "s'exprimer publiquement" sur "la situation individuelle de salariés" et menaçant La Lettre d'une plainte pour diffamation.
Mais la facture de cette affaire risque d'être salée pour l'établissement public. En plus du prix à payer pour lancer une petite série des médailles neuves, la décision de décapiter la Monnaie de Paris de ses trois hauts cadres va mobiliser d'importantes ressources financières. Il y a deux ans, le départ négocié de la directrice des monnaies étrangères avait amputé le budget de l'EPIC de plus de 200 000 euros, dans le cadre d'une rupture conventionnelle.
Surtout, cette crise intervient au pire moment pour la direction de la Monnaie de Paris, déjà en difficulté après la production de millions de pièces de centimes d'euros non conformes, révélée par La Lettre (LL du 11/01/24). La bévue, d'abord minimisée par l'institution, lui avait finalement coûté 800 000 euros pour 2023, un montant important, rapporté à son résultat net de 4,4 millions d'euros publié cette même année.