"Objection !" C'est le nom de la procédure d'urgence que les députés européens Christophe Grudler (Renew) et François-Xavier Bellamy (Parti populaire européen, PPE) tenteront d'activer d'ici à lundi, avec d'autres élus de leur intergroupe informel pronucléaire. Leur objectif est de soutenir le financement du parc de réacteurs existants, en les intégrant au mécanisme des "contracts for difference" (CFD).
La procédure est une tentative désespérée pour contrer l'Espagnol Nicolás González Casares (Alliance progressiste des socialistes et démocrates), rapporteur sur la réforme du marché de l'électricité. Celui-ci s'est entendu avec l'Allemand Christian Ehler (PPE) pour sortir le parc existant de ces contrats négociés entre énergéticiens et États, alors même que ce compromis avait été accepté par la Commission européenne.
De la friture sur la ligne électrique
Avec leur initiative, les eurodéputés français entendent surtout maintenir sous pression la Commission et le Conseil de l'Union européenne, pour que le texte final intègre bien le parc existant dans les CFD. Mais sur ce dossier, ils ont trouvé un adversaire inattendu : l'équipe européenne d'EDF. Sa lobbyiste Mathilde Painchart a fait le tour du Parlement tout l'été, afin de convaincre les députés de voter contre les CFD.
L'opérateur plaide plutôt pour la mise en place de "power purchase agreements" (PPA), qui lui permettraient de négocier de gré à gré des tarifs de long terme dans des conditions avantageuses avec les gros consommateurs d'électricité, comme les opérateurs ferroviaires et les géants industriels. Les CFD sont aussi négociés sur de longues périodes avec les États, mais contraignent les producteurs à un prix évoluant dans une fourchette tarifaire.
A Paris, le PDG d'EDF Luc Rémont a, lui aussi, relayé ce message jusqu'au sommet de l'État. Au point que, ce jeudi soir, une certaine confusion régnait du côté français. L'entourage de la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, qui s'est battu pour les compromis autour des "contracts for difference" au niveau européen, évoque désormais des arbitrages en cours avec Matignon, tout en reprenant l'idée des PPA, ces contrats de vente à long terme chers à EDF. Une posture complexe, alors que la France va devoir défendre son modèle nucléaire face aux autres pays européens, la semaine prochaine au Coreper.
L'arme nucléaire du passage en trilogue
En attendant, l'eurodéputé Nicolás González Casares a décidé de se passer d'un vote en séance plénière pour faire passer ses dispositions. Il a utilisé une procédure permettant d'envoyer directement le texte adopté par la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE), pour négociation en trilogue avec les États et la Commission, sans avoir à consulter le reste des députés qui seront réunis à Strasbourg la semaine prochaine.
Avec leur Objection !, Christophe Grudler et François-Xavier Bellamy veulent empêcher ce passage en force et envoyer le message que le Parlement ne soutient pas le mandat du rapporteur espagnol pour négocier sur cette position. Pour le contrer, les Français doivent tout d'abord demander un vote sur le sujet, en rassemblant 71 signatures d'eurodéputés, une gageure, alors que les groupes de la droite nationaliste Conservateurs et Réformistes européens (ECR) et Identité et Démocratie (ID) ont lancé une initiative concurrente.
Ce 7 septembre, les soutiens du Français Arnaud Danjean (PPE) et aussi du Bulgare Franc Bogovic (PPE) semblaient acquis. Mais l'initiative ressemble à un baroud d'honneur, tant le dossier divise les familles politiques et les nationalités qui composent le Parlement. Même si le texte arrive en plénière lundi, une majorité de votes des députés contre le rapporteur espagnol du texte semble donc très hypothétique.
L'enjeu du "grand carénage"
Pour la France, il est urgent de s'extraire au plus vite de ce maelstrom atomique. Car ce texte européen déterminera le cadre juridique et financier qui permettra d'avancer sur les chantiers urgents du nucléaire dans le pays. D'une part, le financement de la rénovation des centrales, qui ont montré des faiblesses l'hiver dernier. D'autre part, l'abyssale dette d'EDF - 64 milliards d'euros -, qu'il va bien falloir éponger.