Pierre-Édouard Stérin.
Pierre-Édouard Stérin. © Anthony Dehez / REA

En février, dans la plus grande discrétion, Pierre-Édouard Stérin a racheté Marmeladz, une des plus importantes agences françaises d'influenceurs sur les réseaux sociaux. Une opération purement financière, comme le fondateur des coffrets cadeaux Smartbox en réalise chaque mois avec son fonds d'investissement Otium Capital. Mais au-delà, le milliardaire se donne les moyens de devenir lui-même un influenceur politique. Pas sur TikTok cette fois, mais dans l'ombre, avec les larges moyens qu'il est prêt à y consacrer.

Ce libéral conservateur a fêté en janvier son 50e anniversaire, l'âge à partir duquel il s'est promis de consacrer son temps et sa fortune à des projets sociétaux. Le début de sa "troisième vie", axée autour d'une certaine idée de la philanthropie. En petit comité, Pierre-Édouard Stérin fait savoir qu'il veut investir, et s'investir, dans la "cause nationale". Conscient d'un défaut de cohérence, ce Normand exilé en Belgique depuis 2012 pour des raisons fiscales a promis de rentrer en France "dans les prochaines années".

Depuis de longs mois, aiguillonné par la réélection d'Emmanuel Macron, ce fervent catholique a constitué une petite équipe de fidèles qui travaillent en secret sur un plan pour peser dans le débat public. Et y faire entendre ses valeurs et ses convictions : libéralisme économique, conservatisme, ou encore le combat civilisationnel – Pierre-Édouard Stérin s'inquiète de la "cathophobie" qui menace le pays selon lui. L'entrepreneur se dit aussi souverainiste. Associé dans l'industrie à l'ancien ministre socialiste Arnaud Montebourg, il rêve d'une France qui ne soit "l'esclave ni des États-Unis ni de l'Europe".

"Disrupter" l'offre politique

En perspective de la présidentielle de 2022, déjà, l'homme d'affaires avait approché plusieurs responsables politiques à droite et à l'extrême droite, avec l'espoir d'identifier le bon cheval. François-Xavier Bellamy, Bruno Retailleau, Virginie Calmels, David Lisnard, Marion Maréchal ou encore Éric Zemmour l'ont notamment rencontré, comme l'a raconté L'Express en 2023. Le 12 décembre encore, Laurent Wauquiez lui a rendu visite – en Vélib' – dans ses bureaux de la rue Saint-Joseph à Paris – les deux hommes n'ont pas souhaité commenter ce rendez-vous.

Mais Pierre-Édouard Stérin est ressorti de ces entretiens si peu convaincu par l'offre politique existante qu'il entend aujourd'hui la "disrupter". Nom de code choisi pour son projet : Périclès, en référence au père de la démocratie athénienne. Le premier jalon de son plan d'action consiste à créer d'ici à la fin de l'année 2024 un think-tank, dont les rênes devraient être confiées à Philippe de Gestas. Cet ancien chef de cabinet de Nicolas Sarkozy au conseil général des Hauts-de-Seine était jusqu'à l'an dernier secrétaire général du Mouvement conservateur, allié à Reconquête!. Il enseigne depuis plusieurs années à l'Institut de formation politique (IFP), pouponnière de la droite identitaire. Missionné depuis novembre, Philippe de Gestas consulte activement pour définir le modèle de ce futur laboratoire d'idées.

Son commando

Pour ce projet Périclès, basé rue de Montyon (9e arrondissement de Paris), dans des locaux du milliardaire, Pierre-Édouard Stérin s'appuie également sur le réseau et les idées de plusieurs actuels ou anciens cadres de ses divers satellites. Arnaud Rérolle, un ex-salarié du Fonds du bien commun, le fonds de charité de Pierre-Édouard Stérin, en fait partie. Tout comme Marguerite Frison-Roche, qui officiait jusqu'en mars en tant que "responsable des affaires institutionnelles" du fonds. Celle-ci avait participé à la campagne présidentielle d'Éric Zemmour, au sein du pôle société civile. Le jeune essayiste Pierre Valentin, dont Pierre-Édouard Stérin a apprécié en 2023 l'ouvrage Comprendre la révolution woke, a aussi été recruté. Passé par les bancs de l'IFP, celui-ci est attendu à Bruxelles les 16 et 17 avril pour le raout des national-conservateurs, où il côtoiera notamment le Hongrois Viktor Orbán et le Britannique Nigel Farage. Pierre-Édouard Stérin a aussi associé à ce projet son ami de trente ans Emmanuel Fontan, un cadre du ministère de l'intérieur passé dans les années 2000 par la revue maurrassienne Les Épées.

Otium Politique

Outre la création de son propre think-tank, Pierre-Édouard Stérin – qui n'a pas souhaité communiquer à ce sujet – serait prêt à en financer d'autres, déjà existants. L'écosystème des laboratoires d'idées situées à l'extrême droite de l'échiquier politique espère déjà bénéficier des fonds d'une sorte d'"Otium Politique", après Otium Capital. Parmi ceux cités comme compatibles avec les combats de Pierre-Édouard Stérin : l'Observatoire de l'immigration et de la démographie, l'Institut pour la justice, l'Institut Thomas More, Contribuables associés ou encore le Cercle droit & liberté. Le think-tank sécuritaire CRSI (Centre de réflexion sur la sécurité intérieure), rampe de lancement en politique de son président Thibault de Montbrial (LL du 13/02/24), a déjà manifesté son intérêt pour accueillir Pierre-Édouard Stérin parmi ses mécènes.

Autre déclinaison du projet Périclès, Pierre-Édouard Stérin a missionné l'an dernier Arnaud Rérolle pour plancher sur la création d'un cabinet de formation et d'accompagnement d'élus locaux et de collectivités territoriales. L'initiative, si elle se concrétise, lui permettrait de se rapprocher encore davantage du monde politique, avec les élections municipales de 2026 en ligne de mire.

Alexandre Berteau
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